|
Stéphanie des Horts, La Panthère, JC Lattès, 2010 |
Elle a marqué un lieu et une époque, Jeanne la demi-mondaine, Jeanne
la panthère joaillière. Originaire de Bruxelles, elle quitte la Flandre des
brodeuses pour Paris avec son amant, Pierre de Quinsonas, compagnon
d’insouciance. Il lui promet le mariage, elle se retrouve installée dans un
hôtel particulier : un oiseau choyé, couvé de diamants. La société des
convenances et la famille de Quinsonas n’acceptent pas l’idée d’un mariage avec
une femme sans fortune (une simple cousette !) et sans titre.
Le bijou
rythme d’abord sa vie comme une parade à l’abandon, parade de séduction :
un amant la quitte, un autre homme la charme. La vie régulière des irrégulières
en somme. Amie de Gabrielle Chanel, elles brillent lorsqu’elles applaudissent
l’avant-garde de la Belle-Epoque, lors de la première du Sacre du Printemps au
théâtre des Champs-Elysées en 1913.
L’élégance fluide de Jeanne, sa souplesse, son regard sûr, tantôt
langoureux tantôt félin, séduit Louis Cartier, il croit y déceler un instinct
de création. Il ne se trompe pas. Leur collaboration durera aussi longtemps que
leur histoire d’amour, de 1918 jusqu’à la mort de Louis en 1942. Histoire
d’amour étouffée (Louis épousera Jackie Almassy, jeune femme issue de la
noblesse palatine), l’inspiration, elle, ne l’est pas, elle évolue librement,
Jeanne y met toute sa passion.
Ils jouent avec l’indépendance du bijou, Jeanne veut des pierres précieuses
aux montures invisibles. Une indépendance farouche qui glisse les pierres au
plus près du vêtement. A l’exposition internationale des Arts décoratifs de
1925, Cartier n’expose pas avec les autres joailliers mais présente ses bijoux
au Pavillon de l’Elégance sur les stands et les mannequins des grands
couturiers. Le bijou se veut indissociable de la mode.
Les difficultés techniques sont gommées, les difficultés politiques
bravées. Pendant l’occupation allemande, les boutiques de la rue de la Paix
affichent un oiseau en cage, ce qui vaudra l’arrestation de Jeanne. Elle s’en sort
grâce à Chanel, sa complice de toujours.
La guerre est finie, Jeanne est seul maître à bord de Cartier à Paris,
le souffle d’inspiration de Louis lui glisse une dernière fois « ma
panthère ». Elle dessine un félin en trois dimensions, une broche pour la
duchesse de Winsdor. La duchesse est admirative « vous me comblez, vous
avez tout compris, vous savez tout de moi ». Elle lui commande des
centaines d’autres bijoux panthère. La folie est lancée, les stars et les
magazines de mode relayent la flamboyance rauque du félin. Jeanne s’efface en
1976, la panthère reste dans la légende.